Michel Abdelouhab est fonctionnaire détaché au ministère français des Affaires étrangères, professeur de sciences économiques dans une université française de Luanda en Angola. D’origine magrébine, il est consultant sur les questions économiques en Afrique et se prononce régulièrement sur les sujets socioéconomiques sur le continent et à l’international. Dans ses nombreuses contributions publiées en Europe, aux-Etats-Unis et en Afrique notamment sur Financial Afrik et autres médias du Bénin, cet expert a toujours pris position pour l’Afrique contre les institutions financières internationales dont le FMI et la Banque mondiale sur des questions liées au franc CFA, les Programmes d’ajustement structurel (PAS) et autres. A l’heure où les emprunts obligataires sont objet d’intoxications dans plusieurs pays d’Afrique, Michel Abdelouhab livre son expertise sur le sujet à travers une interview. Dans son intervention, le français renseigne sur ce que c’est réellement que les emprunts obligataires et ses conséquences sur les économies des pays emprunteurs.
Journaliste : Comment peut-on présenter un emprunt obligataire ?
Michel Abdelouhab : Il faut tout d’abord définir ce qu’est une obligation. Une obligation est juridiquement une créance. L’acheteur d’une obligation prête de l’argent à l’émetteur qui peut être un Etat, ou une entreprise, le débiteur s’engageant à rémunérer le créancier a un taux, soit fixe soit variable, et à rembourser le capital à une échéance donnée. Très souvent, les taux sont variables, et il existe une relation inverse ente taux d’intérêt de l’obligation et prix de cette obligation. Le taux d’intérêt étant un indicateur de risque, une obligation très demandée sur le marché primaire ou secondaire verra son taux d’intérêt baisser, une obligation surachetée étant un titre qui a la confiance des marchés.Concernant les obligations émises par les Etats africains on distingue 2 types de créances. L’obligation libellée en monnaie nationale et l’euro bonds, libellées en devises, euro ou dollar US. Après émissions ces titres sont négociés sur le marché primaire, puis sur le marché secondaire durant l’ensemble de leur cycle de vie.
Quelles sont les structures permettant d’accéder à des emprunts en Afrique et dans le monde ?
Ce sont les grandes entreprises et banques africaines qui en sont les principaux opérateurs, tels la Guarentee Trust Bank au Nigeria avec 500 millions de dollars d’obligations émises en 2011 ou encore Ghana télécom avec une levée de 300 millions de dollars en 2007, amortissable sur 5 ans.
Quels sont les pays africains qui empruntent le plus sur les marchés financiers ?
Les emprunteurs les plus importants en Afrique sont en fait les pays les plus dynamiques : L’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, ou encore l’Egypte et la Cote d’ivoire. Les pays en situation de surendettement sont définitivement exclus de ces marchés, leur seule alternative étant l’emprunt auprès du FMI que je qualifie à titre personnel comme étant « la banque des pauvres ».
Quels sont les impacts positifs liés aux emprunts obligataires ?
Les emprunts obligataires permettent de répondre aux besoins de financement massifs des pays africains, pénalisés par les fuites massives de capitaux, légales et illégales (75 milliards de dollars se sont évaporés en 2017).Financement d’infrastructures, énergies, etc…
Par ailleurs, ces emprunts permettent de profiler, de restructurer des dettes antérieures devenues non soutenables. Ce reprofilage se réalise par des délais de remboursement plus long, et par des taux d’intérêt plus faible. La Cote d’ivoire, le Gabon, les Seychelles ont eu recours aux emprunts obligataires dans une dynamique de restructuration de la dette.
Enfin, ces emprunts obligataires coutent souvent moins chers que la captation de l’épargne nationale, même après ajustement à l’effet de change.
Les emprunts obligataires peuvent-ils avoir des inconvénients ?
Les pays emprunteurs suivent de près les évolutions de la macroéconomie mondiale et les modifications des contextes politico économique qui peuvent avoir des influences sur leurs projections. N’oublions pas que les taux d’intérêt de ces obligations sont variables et évoluent donc en fonction des politiques monétaires des grandes banques centrales, FED et BCE, ainsi que de l’évolution du cours des matières premières, eux-mêmes dépendants de la croissance mondiale. Par exemple, une hausse des taux directeurs de la FED entrainera une fuite de capitaux vers la zone dollars, entrainant de fait une dévaluation de la monnaie nationale et donc un renchérissement de la dette, libellée en dollars.
Les baisses de taux de croissance économique, la hausse de l’inflation, le développement des déficits budgétaires et de balance commerciale, les dévaluations monétaires, dégradent les notes des pays africains par les agences de notation, renchérissant de fait, toute chose égale par ailleurs, le taux d’intérêt de l’obligation et donc la charge de la dette. Tous ces facteurs sont indépendants des pays qui empruntent. De même tous les pays qui empruntent, subissent les mêmes effets en cas de problème. Pour finir, le défaut de paiement attire immédiatement les fonds vautours.
Comment peut-on présenter un fond vautour ?
Un fond vautour est un fond d’investissement qui a pour but de racheter à bas prix les dettes de pays surendettés appelées aussi « Junk Bonds » dans le but d’engager des poursuites judiciaires contre les débiteurs pour les amener à rembourser l’intégralité de leurs dettes. Certaines de ces créances sont rachetées a auteur de 10% de leur valeur faciale, ce qui peut générer des gains allant de 300% à 2000%.Bien qu’immorale, ces pratiques restent légales. Par exemple, dans une affaire récente lancée contre la Zambie, un fond vautour qui avait racheté pour 5 millions de dollars une dette de 3 milliards de dollars a poursuivi la Zambie pour 55 millions de dollars et s’est vu attribué 15 millions de dollars, soit une rentabilité de 200%. Les procès sont intentés essentiellement dans des juridictions anglo-saxonnes, et coutent très chers aux PVD .Ils menacent les objectifs de base de l’initiative PPTEE et des OMD, aggravant de fait la misère et la pauvreté dans ces pays. En outre, l’action des fonds vautours accroissent les opacités financières de ces économies, les dirigeants de ces derniers camouflant leurs avoirs pour ne pas se les faire saisir. Depuis 1999, 15 pays africains ont fait l’objet d’actions en justice de fonds vautours, tel que la Sierra Leone, la cote d’ivoire, le Burkina Faso, l’Angola, l’Ethiopie, le Cameroun, la RDC, le Liberia, Madagascar, le Mozambique, le Niger, la Tanzanie, l’Ouganda et Sao Tome.
Quelles précautions prendre ?
La facilite africaine de soutien juridique, initié en juin 2009 a pour objet de financer l’aide juridictionnelle au cours des procès intentés par les fonds vautours. Par ailleurs la notion de dettes odieuses en général contractées par des gouvernements non légitimes telle des dictatures rendent illégitimes ces dettes et donc annule leur remboursement. D’une manière plus générale, il s’agit pour les pays africains de calibrer de façon optimale leurs emprunts et de tracer les flux financiers générer par ces emprunts, c’est à dire être rapidement affectés au financement de projets de développement et non par exemple, au financement du déficit budgétaire, voir malheureusement de la corruption par le biais notamment de surfacturation.